Accessibilité web, le début d’un voyage passionnant

Par Molika Thai, 5 avril 2018

Temps de lecture : 9 minutes

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Webassoc.fr le web bénévole pour les associations. Humanitaire, solidarité, environnement.

Le mercredi 14 mars 2018 s’est tenu dans les bureaux français de Google la première conférence sur l’accessibilité numérique organisée par Webassoc, en collaboration avec l’Association Valentin Haüy (AVH) et la Réserve Civique.

Petite mise en contexte : cela fait bientôt un mois que j’ai intégré l’équipe de Tanaguru en tant que développeuse front-end. Passionnée par le code et la qualité web, j’ai voulu intégrer l’équipe pour monter en compétence sur l’accessibilité numérique, cette conférence était donc la parfaite occasion d’intégrer l’écosystème A11Y.

Webassoc et Association Valentin Haüy, ouvre le bal de cette après-midi conférence.

Pour commencer, je ne connaissais les organisateurs principaux de l’événement (cités plus haut) que de nom. Mais leur présentation en début de conférence m’a permis de mesurer dès le lancement les enjeux de l’accessibilité. Au total, huit intervenants se succéderont sur l’estrade de l’auditorium pour discuter de différents aspects de l’accessibilité numérique tout au long de cette après-midi. En tant que débutante en la matière, voici ce que j’en ai retenu.

Tout d’abord Raphaelle Hutin Menajovsky, de Webassoc, (association de professionnels du web venant en aide bénévolement aux associations qui n’ont pas toujours les moyens de se payer les services d’une agence) a ouvert l’après-midi en expliquant sa volonté de nous soutenir dans l’organisation de cet événement, et sa prise de conscience progressive de tout ce qui était impacté par l’inaccessibilité.

Puis Manuel Pereira, responsable du pôle accessibilité numérique à l’AVH (Association Valentin Haüy) et aveugle de naissance, a ouvert la conférence en nous dressant le panorama contextuel de l’accessibilité, en rappelant son essence :

L’accessibilité numérique c’est…

En 1889, l’Association Valentin Haüy est créée. Elle défend les droits des déficients visuels et leur apporte une aide dans leur besoin d ‘indépendance quotidien par la formation, accès à l’emploi, l’organisation de loisirs et d’évènement diverses….

Mais en fait, qu’est-ce que l’accessibilité numérique ? La définition qu’il nous donne : c’est garantir à l’ensemble des utilisateurs qu’ils pourront avoir accès, consulter et interagir avec tout contenu numérique en totale autonomie.

Ce n’est pas plus compliqué que ça, mais ce n’est pas rien puisqu’en France on recense environ 17 millions de personnes ayant un handicap, soit un quart de la population.

Inaccessibilité je te démasquerai

Un outil inaccessible, c’est vraiment frustrant, voire stigmatisant

Alors oui, on est à l’ère du numérique et les nouvelles technologies sont censées faciliter l’accès à l’information. Sauf qu’en réalité, avec l’évolution de ces technologies, le numérique peut engendrer encore plus d’exclusion chez les personnes en situation de handicap (ou les personnes âgées d’ailleurs). Au mieux, ils vivent une frustration face aux services numériques quand ils ne sont pas accessibles.

CAPTCHA : petit outil et grandes frustrations, et c’est ceux qui le vivent qui en parlent le mieux

Prenons un exemple : Manuel Pereira nous fait la démonstration du quotidien d’un Utilisateur non voyant cherchant à remplir un formulaire avec captcha, via un lecteur d’écran et c’est la Réserve Civique qui va se prêter au jeu de cette démonstration.

Pour le contexte : En janvier 2017, pour répondre à la volonté des français de servir leur pays suite aux attentats de novembre 2015, se créé la Réserve Civique. Conscients des besoins d’amélioration en termes d’accessibilité numérique de leur site, ils se sont portés volontaires spontanément pour la démonstration.

Manuel remplit donc pendant 2 minutes consciencieusement tous les champs du formulaire à l’aide de son lecteur d’écran. Quand vient enfin le moment de valider l’envoi, un CAPTCHA lui demande de confirmer qu’il n’est pas un robot pour valider l’envoi de son formulaire. Et là, impasse.

Belle prise de conscience de voir à quel point la mauvaise implémentation d’un CAPTCHA (ou l’utilisation d’un CAPTCHA tout court d’ailleurs) sans alternative audio pouvait être bloquante pour un utilisateur puisque celui-ci ne peut pas valider le formulaire sans le CAPTCHA mais il n’y a aucun moyen de savoir ce qui est écrit dessus…

L’accessibilité numérique c’est de l’éthique, de l’expérience Utilisateur, mais aussi un cadre légal français activement enrichi

Le cadre légal de l’accessibilité numérique, ce n’est pas l’aspect le plus sexy du sujet mais c’est c’est une réalité mise en place pour garantir une ligne de conduite pour tous sur le sujet. Ces obligations légales nous ont été présentées par Maud Choquet, chargée de mission juridique à la DINSIC (Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’Etat).

En termes de normes internationales, on a les WCAG (Web Content Accessibility Guidelines), mais on a aussi le pendant franco-français, le RGAA (Référentiel Général d’Accessibilité pour les Administrations).

Le RGAA rassemble des critères et des tests qui permettent d’évaluer et de garantir la ligne de conduite accessibilité d’un site.

RGAA, état des lieux de la situation française

En quelques dates clés :

  • 2005, la loi pour l’égalité des chances des personnes handicapées impose aux services publics en ligne d’être accessibles aux personnes handicapées, tous handicaps confondus.
  • 2015, la loi pour une république numérique modifie l’article de la loi de 2005 et étend cette obligation à certains entreprises privées (si elles dépassent un certain seuil de chiffre d’affaires) et aux organismes délégataires d’une mission de service public. C’est donc le RGAA qui sert de référence pour la mise en conformité de tous ces sites.
  • 2016, une directive européenne, actuellement toujours en cours de négociation, est amorcée pour préciser les exigences en matière d’accessibilité des services publics au niveau européen.

En somme, le cadre légal est encore en chantier et évolue constamment, il est donc à surveiller de près.

Accessibilité, accessibilité c’est bien beau mais comment on fait ?!

L’accessibilité est une démarche qui, mise en œuvre tout au long d’un projet, n’est pas nécessairement très coûteuse

Nous avons le cadre légal, mais concrètement, comment peut-on intégrer l’accessibilité à nos (nouveaux) projets ?

Frédéric Halna, directeur associé d’Océane Consulting, insiste sur le fait que l’accessibilité est avant tout une démarche et non pas une fin en soi. C’est un sujet qu’il faut considérer dès le début d’un projet (phase de cadrage et de conception).

« En accessibilité, ne mettez pas tout sur les épaules des développeurs ! »

Frédéric Halna, Océane Consulting, par B. Genet
Frédéric Halna © Benjamin Genet

En phase de production, le défi est de conserver la maîtrise du cadre technique (choix des CMS, framework…) pour ne pas avoir d’effets de bords qui iraient à l’encontre de l’accessibilité numérique, comme ce fut le cas pour le site de e-commerce Houra (voir plus bas).

Les coûts peuvent augmenter au niveau du pilotage projet : embauche de consultants, formation des équipes, maintien du niveau d’accessibilité du projet sont autant de facteurs pouvant augmenter le coût.

« Ceci dit, penser l’accessibilité en amont du projet ça permet justement d’éviter ces coûts inattendus faisant grimper la facture ! Et oui, il est plus difficile et coûteux de rendre un site accessible avec toute la démarche que cela implique (audit, consultants experts, temps de corrections et de formations etc) que de la prendre en compte nativement dans un projet ! »

Quelques outils pour devenir un véritable MacGyver de l’A11Y

Il existe des outils sont déjà disponibles pour évaluer l’accessibilité de nos sites internet et les rendre un peu plus accessibles, et ils ne sont pas uniquement à destination des développeurs. Qui plus est, des outils Open Source.

Christian Paterson, représentant OW2 (consortium d’entreprises qui se sont associées pour favoriser l’Open Source), était là pour nous parler du potentiel entre Open Source et accessibilité.

Parmi ces outils, on peut évoquer la barre de navigation  Confort + (open source) que l’on peut intégrer directement à sa page web pour permettre un rendu graphique personnalisé ; mais aussi des outils tels que Color contrast analyser pour analyser les contrastes de couleurs sur une page, ou encore bien entendu Tanaguru, notre logiciel open source qui relève les erreurs dans le code en termes d’accessibilité.

Damien Engels, Google, par Benjamin Genet
Damien Engels © Benjamin Genet

En tant que développeuse front-end, vous imaginez bien que j’attendais d’entendre parler de ce que l’on pouvait faire au niveau du code pour rendre les éléments d’une page plus accessibles.

Damien Engels, ingénieur chez Google, était justement là pour parler code et nous a présenté différents moyens d’amélioration de notre code. La base, c’est de respecter la sémantique HTML et d’apprendre à utiliser un lecteur d’écran.

Pour compléter la sémantique HTML, il nous a introduit tout le dispositif ARIA pour expliciter la nature et le fonctionnement de certains éléments complexes de nos sites aux lecteurs d’écran.

« Mais il ne faut pas oublier la première règle d’utilisation d’ARIA : s’il y a une balise HTML qui a nativement le comportement que l’on souhaite, pas besoin d’ARIA. »

Et enfin,évidemment, on allait évoquer des produits Google comme l’onglet « Accessibility Tree » (arbre d’accessibilité) que l’on trouve dans les outils de développement de Google Chrome : définitivement un onglet à explorer et exploiter !

Sémantique, légalité, technique. D’accord, mais concrètement

Des retours d’expérience, je crois qu’il n’y a rien de plus inspirant non ?

Trois intervenants issus d’univers différents se sont relayés pour partager leur histoire par rapport à l’accessibilité numérique :

houra.fr, e-commerce accessible présenté par Thomas Aygon (DSI)

Thomas Aygon, Houra.fr, par Benjamin Genet
Thomas Aygon © Benjamin Genet

Houra.fr est un pure player spécialiste de la livraison de courses à domicile. Dès leur création, ils sont partis sur un site internet très simple. Sans le savoir, leur site était accessible.

C’est alors qu’ils ajoutaient une nouvelle fonctionnalité pour moderniser la plateforme qu’ils ont pris conscience de l’impact de l’accessibilité numérique et de leur utilité auprès du public handicapé. L’équipe technique a alors pris connaissance des différents outils d’assistance de navigation (NVDA, JAWS, VoiceOver…). Avec l’implémentation de la nouvelle fonctionnalité les Utilisateurs ne pouvaient plus naviguer sur leur site = PAGE BLANCHE, PLUS AUCUNE INFORMATION N’ÉTAIT RESTITUÉE « oops ».

Depuis, la notion d’accessibilité numérique est présente dans tous leurs développements. Aujourd’hui, la marque fait figure de bon élève dans l’écosystème e-commerce.

Pôle Emploi, un établissement public à la démarche accessibilité 360°: représenté par Sandrine Alèbe (responsable du pôle accessibilité à la DSI de Pôle Emploi)

Sandrine Alèbe, Pole Emploi, par B. Genet
Sandrine Alèbe © Benjamin Genet

Ayant au départ missionné des consultants en accessibilité numérique, Pôle Emploi a depuis plusieurs années monté une équipe dédiée à la problématique d’accessibilité.
Parmi les piliers de leur démarche se trouvent la formation et la communication en interne des pratiques d’accessibilité. Cette problématique est prise en compte dès le début des projets, mais soutient aussi l’accompagnement de la refonte d’outils à destination des demandeurs d’emploi.

Signes de sens, association créant des solutions pédagogiques innovantes pour tous : représentée par Sébastien Seignez

Sebastien Seignez, Signes de sens, par B. Genet
Sebastien Seignez © Benjamin Genet

Depuis 2003 Signes de sens a créé des projets tels que Elix, le 1er dictionnaire de français en langue des signes, ou Ben le Koala qui apprend aux enfants autistes à se brosser les dents ou se laver les mains en proposant des animations ludiques.

Ce mardi 14 mars, Signes de sens était là pour nous parler de leur nouveau prototype : le site internet Infos Accessibles pour permettre à tous, peu importe le handicap (y compris social), d’effectuer des démarches administratives en ligne plus facilement.

L’approche de design thinking où l’utilisateur est au cœur de la conception a permis, entre autres, de trouver des solutions facilitantes comme l’usage de FALC (Facile à Lire et à Comprendre) et de vidéos pédagogiques avec langue des signes et voix-off.

ConclusionS…

« Que nous fassions de l’accessibilité par conviction, obligation, ou par hasard, continuons » – Frédéric Halna

Cette conférence était à la portée de tous, même s’il y a avait des parties un peu plus techniques, les intervenants ont réussi à faire passer leurs messages et à vulgariser la problématique d’accessibilité numérique.

Ce qui m’a le plus plu, c’est que par la diversité des intervenants, le sujet de l’accessibilité numérique a été abordé sous plusieurs angles : technique, business et sociétal. Pour ma part c’était une bonne entrée en la matière pour comprendre les enjeux que l’accessibilité numérique peut avoir.

On parle beaucoup de simplicité pour parler de design minimaliste, très tendance depuis quelques années sur le web. Mais ce n’est pas que ça, la simplicité a un réel rôle dans l’accessibilité numérique, pour faciliter la compréhension et l’utilisation des outils d’aujourd’hui et de demain.

Bernard Serres, président de l’AVH, a conclu les retours du publique par une rétrospective de son expérience : de son apprentissage du braille au piquet, à l’arrivée du Web. Des bouleversements et de l’émancipation engendrés grâce à ce Web nativement accessible, à sa progressive complexité le faisant basculer à nouveau vers la marginalisation, le privant de certains services en ligne par l’arrivée de nouvelles fonctionnalités inaccessibles.

Bernard Serres, AVH, par B. Genet
Bernard Serres © Benjamin Genet

Pour Sandrine Alèbe, Pole Emploi, un projet ne peut être réellement innovant sans une prise en compte 360° de l’accessibilité.

Et en termes d’expérience Utilisateur, à l’heure de l’avènement de l’Intelligence Artificielle et des assistants vocaux pour tous, un premier constat émerge : un résultat de recherche vocale se charge 52 % fois plus rapidement qu’une page moyenne.

« Prendre en compte la démarche d’accessibilité, c’est améliorer l’expérience web de L’ENSEMBLE des Utilisateurs et éviter d’en marginaliser d’autres. »

L'accessibilité numérique nous concerne tous